210.
… elle se réveille.
La femme policier en uniforme bleu marine vient la chercher. Elle l’entraîne vers une voiture barrée de bleu blanc rouge. Au moment de partir, tous les clochards et les prostituées la saluent respectueusement et la remercient. Seul le punk « No Futur » tremble et claque des dents dans son coin, le visage blême.
— Nous ne t’oublierons jamais, prophétesse, dit le barbu qui a été son impresario.
La voiture de police démarre et la policière s’assoit à l’arrière à côté d’elle.
Après avoir un peu roulé, la femme lui murmure :
— Il paraît que vous avez un pouvoir. Vous faites les lignes de la main ?
Si cela peut me permettre d’avoir une emprise sur toi, je sais tout faire.
— Plutôt l’horoscope, répond Cassandre pour tester autre chose.
— J’en étais sûre. Je suis Gémeaux ascendant Balance, annonce fièrement la femme en uniforme.
— Gémeaux : personnalité double. Balance : il vous est difficile de prendre des décisions. Un mélange intéressant.
Une moitié de toi est schizophrène, l’autre sans doute aussi…
— Ces temps-ci, j’hésite à changer de métier, s’enhardit la policière. À cause des horaires, ça ne me convient pas du tout.
— Vous voudriez faire quoi ?
— J’ai toujours aimé la science et les technologies de pointe. Je voudrais faire du laser.
— De l’optique ?
— Non, pour les poils. L’épilation au laser, pour être précise. Les jambes, les aisselles, le maillot. Et puis, si ça marche bien, je compte passer à quelque chose de plus ambitieux.
— Ah ?
— La biochimie.
— Le Botox ?
— Comment vous avez deviné ? Vous avez vraiment un pouvoir ! Il paraît que, maintenant, on peut faire des injections de Botox avec des seringues sans même passer de diplôme de dermato. Vous pensez que ça peut rapporter ?
— Ça me semble un choix valable, je veux dire par rapport à votre ciel astral actuel. Pour les Gémeaux ascendant Balance.
— Mais j’ai aussi des raisons de rester policière. Notamment les vacances. Et puis j’aime l’uniforme.
— Alors il faut rester dans la Police.
— Et puis j’ai peur de travailler dans le privé, à cause des risques de licenciement. Mais, d’un autre côté, le laser et le Botox pour les femmes, c’est l’avenir.
C’est certain.
— Je dirai même, si vous me permettez, que dans ce monde rien n’est sûr, sauf que dans le futur les femmes accorderont de plus en plus d’importance à leurs poils et à leurs rides.
Encore une qui a sa vision particulière du futur.
— À moins que je devienne coiffeuse. Les cheveux, c’est important aussi. Mais pour les cheveux je crois qu’il faut une formation, des diplômes en capilliculture ou un CAP. Ça va prendre du temps. Alors que le laser, c’est plus facile.
Bon, alors ne me casse pas les pieds, fais ce que tu veux.
— À moins que je reste policière. Tous mes amis sont ici, après tout.
Je crois que je commence à développer une aversion particulière pour les Gémeaux ascendant Balance.
— Vous voulez que je vous dise, je crois que vous n’allez faire aucun de ces métiers dans le futur, ni flic, ni le laser, ni le Botox, ni les cheveux. Moi, vous savez dans quoi je le vois, votre avenir ?
— Je vous écoute.
— C’est quoi votre prénom ?
— Prudence.
— Voilà l’indication de votre futur métier. La prévention routière. Vous restez dans la police, mais vous vous spécialisez dans la prévention des accidents de la route. Il y a de la technologie de pointe dans les radars, et de la chimie dans les tests pour détecter le taux d’alcoolémie.
— Vous croyez ? Écoutez, c’est extraordinaire car, justement, j’ai toujours eu une passion pour les accidents de la route. C’est étonnant, non ? Même quand nous partons avec les équipes pour dégager des voitures embouties, je ne peux pas vous dire pourquoi, je sens que c’est mon affaire. Vous êtes vraiment très forte. Dire que j’ai failli perdre mon temps dans le laser.
Cassandre lui reprend la main.
— La prévention routière, c’est là où vous allez rencontrer votre grand amour. Ce sera un grand brun avec des yeux verts. Il fera le même métier que vous. Vous achèterez un petit pavillon au Vésinet. Et vous…
Cassandre s’interrompt, pétrifiée.
— … Et nous ? la presse la policière, suspendue à ses lèvres.
En prenant la main de Prudence, Cassandre a relevé sa propre manche. Elle a remarqué que sa montre indiquait « Probabilité de mourir dans les 5 secondes : 52 %. »
Elle devient livide.
Le cadran du bracelet affiche maintenant 55 %.
— Un problème ? demande la policière.
— Nous sommes en danger.
— Vous voulez dire avec le trou dans la couche d’ozone, la pollution, la crise financière ?
— Non, dans les secondes qui viennent, il va se passer quelque chose de grave, ici et maintenant.
La voiture de police roule, et Cassandre a beau regarder avec inquiétude autour d’elle, elle ne remarque rien de spécial.
Quelque chose ne va pas.
Elle se met naturellement en mode d’ouverture des cinq sens. Elle regarde partout, de plus en plus loin. Elle sent toutes les odeurs. Elle entend tous les sons et les sons derrière les sons.
Le cadran de son bracelet affiche « Probabilité de mourir dans les 5 secondes : 63 %. »
Le visage de Prudence exprime une totale incompréhension.
Elle me croit quand je lui dis qu’elle va trouver le grand amour dans un futur lointain mais elle ne me croit pas quand je lui dis que nous risquons de mourir dans les secondes qui viennent.
« Probabilité de mourir dans les 5 secondes : 78 %. »
Il va se passer quelque chose. Bon sang, quelle angoisse de ne pas savoir quoi ! Probabilis voit mais ne me communique pas d’où vient le danger.
« 81 %. »
Cassandre se crispe sur la poignée de la portière et appuie ses deux pieds contre le siège avant. À cet instant, une grosse voiture les percute violemment sur le flanc droit. Sous le choc assourdissant, le crâne de Prudence percute son menton et Cassandre perd connaissance.